Val Moïse, le

Jordanie | Terre d'Oultre Jourdain


Toponymes connus

  • Val Moïse, le Med.
  • li Vaux Moysi
  • Vallem de Mesa Latin
  • al-Wu'eira - الوعيرة Arabic Contemp.

Description

Français

Histoire

Les Francs de Jérusalem comprirent très vite l’importance stratégique des territoires situés à l’est de la Mer morte. L’enjeu de ces possessions était double : s’établir le long des terres du pays de Moab et du sillon d’Idumée revenait à s’assurer le contrôle de la principale route caravanière reliant Damas à l’Égypte et aux lieux sacrés de l’Islam. A cet intérêt commercial s’ajoutait la possibilité d’isoler chacun des deux adversaires du royaume – les Fatimides d’Égypte et les Turcs de Syrie -, en réduisant les probabilités d’actions communes.

Dans les faits, ce fut Damas, – le « port du Désert » – qui en souffrit le plus, l’Égypte s’accommodant de l’interposition des postes francs grâce à ses ports de la mer Rouge, tandis que Bagdad restaurait la piste du désert Palmyre-Deir ez-Zor-Ma’an…

Les Damascènes sentirent si bien la menace qu’en mars 1107, l’atabeg Tughtekin dépêcha en Transjordanie le chef turcoman Sabâwû, à la tête d’un contingent de 3000 hommes – sans doute des cavaliers puisque cet obscur aventurier turcoman ne nous est connu dans les chroniques que sous le titre d ’Amir al-Ispahbad , c’est-à-dire chef de cavalerie – afin d’y créer un noyau de résistance musulmane, en redonnant courage aux Bédouins du cru face à l’irrésistible poussée franque. Le Roi Baudouin I et ses compagnons avaient en effet déjà effectué lors de leur premières reconnaissances de fructueuses razzias dans la région, et tout laissait penser qu’une expédition plus importante se préparait du côté du Mont des Oliviers…

Lorsque Baudouin I apprit qu’une forteresse se construisait dans le Wadi Musa – littéralement le “Val de Moïse”, une légende voulant que le prophète Moïse y ait découvert une source, Aïn Musa – afin de barrer la route des caravanes aux Francs, il leva rapidement une troupe de cavalerie légère et prit la route du désert vers le wadi, guidé par un prêtre autochtone nommé Théodore. Grâce à la complicité des chrétiens de la région, l’arrivée de la troupe franque ne fut pas éventée. Théodore, usant de la ruse, se présenta seul aux Turcs en tant que victime de l’invasion franque, leur annonçant par la même occasion l’arrivée imminente du terrible Malik Bardawil accompagné de forces considérables… Le lendemain, Baudouin occupait paisiblement le site et tous les environs de Pétra, tandis que les Bédouins qui avaient appelé les Turcs à leur aide furent, à toutes fins utiles, enfumés comme des renards dans les grottes où ils avaient trouvé refuge…

Les soldats du Christ devaient à nouveau revenir dans ce wadi qu’ils commençaient à bien connaître en 1112, pour enlever une importante caravane ayant quitté Damas pour l’Égypte.

Fort de ces pénétrations répétitives au cœur du désert jordanien, Baudouin I prit en 1115 la décision de s’y établir durablement : une nouvelle expédition, d’une toute autre envergure (200 cavaliers et 400 fantassins), vit naître la forteresse de Montréal, ouvrage considérable destiné à recevoir une garnison nombreuse.

Cette première étape accomplie, il ne se passa qu’une seule année pour qu’une seconde expédition soit lancée plus au sud, vers la Mer Rouge. Deux autres citadelles furent alors bâties : le château du Val Moyse, et, probablement, Aqaba.

Concernant le premier site, celui-ci avait déjà été fortifié en des temps plus reculés, et l’on pense que les Croisés commencèrent par réoccuper d’anciennes structures nabatéennes ou romaines. Située à l’extérieur de la ville antique de Pétra, à trois kilomètres au nord-est, la position contrôlait l’une des rares vallées plus ou moins fertile de la région.

Les travaux de fortification les plus importants semblent y avoir été menés par Payen le Bouteiller en 1142, probablement après qu’il eut terminé la titanesque fortification de Kérak.

En 1144, aidée par certaines tribus bédouines locales, une forte troupe de Turcs enleva la position fraîchement achevée au cours d’une attaque surprise et en massacra la garnison. Le moment était bien mal choisi pour le royaume de Jérusalem qui venait de perdre son roi Foulque. Son fils, Baudouin III, inexpérimenté et seulement âgé de 13 ans, vit pourtant là l’occasion de monter sa première expédition. Il réunit l’armée de Jérusalem pour récupérer la place. A l’approche des Francs, Bédouins et Turcs s’étaient réfugiés dans la forteresse dont les murailles, ainsi garnies, semblaient défier tout assaut. Le siège tourna d’ailleurs court, et les Francs furent contraints de recourir à des méthodes moins académiques : ils commencèrent à couper les quelques plantations d’oliviers et de figuiers qui teintaient de vert la région et assuraient la seule subsistance des gens du pays. Devant cette menace de destruction qui les condamnerait quoiqu’il arrive à la famine et l’exode, les Bédouins demandèrent grâce, tandis que les Turcs purent rentrer saufs en leurs terres. Le château du Val Moyse reçut alors une solide garnison, qui résista vaillamment en 1158 face aux troupes fatimides, ainsi qu’en 1188, se rendant après un long siège aux troupes victorieuses de Saladin.

Description

A quelques kilomètres seulement de Pétra et de ses cohortes de touristes, le château des “Vaux de Moyse” se dresse toujours, discret, face à la route menant au village moderne de Wadi Musa. Établi sur un ensemble d’éminences traversées de profonds wadis, la forteresse se révèle être d’une grande originalité, de part sa configuration et les audaces mises en œuvre par ses concepteurs pour fortifier la complexe formation rocheuse du site.

Il est permis de distinguer deux ensembles de fortification : d’une part une enceinte enveloppante très étendue et diffuse, de l’autre une enceinte dominante, concentrant les dispositifs fortifiés les plus importants.

L’enceinte externe, épousant au mieux les circonvolutions du massif gréseux, est ponctuée d’une quinzaine de tourelles quadrangulaires, le plus souvent perchées sur des éminences, et dont on ne trouve plus que les bases. Plusieurs de ces tours sont ainsi visibles au nord, véritables postes d’observation dominant la « cuvette » de Petra. Certaines installations défensives sont également présentes au fond des gorges (roches taillées, pans de courtine, chemin de ronde) sans que l’on puisse véritablement établir de continuité entre ces dispositifs.

L’enceinte interne forme quant à elle un parallélépipède irrégulier flanqué de quelques tours saillantes. L’une de ces tours subsiste à l’angle nord-ouest faisant face à la route. Rectangulaire, elle n’est pourvue que d’une seule archère à ébrasement simple, couvert de voussures en berceau brisé. Dans son prolongement au nord, les restes de la courtine enserrant la basse cour filent sur l’arête, ponctués tous les cinq mètres d’archères sous niche.

L’église castrale, occupant le coin nord-est du noyau fortifié, faisait, comme à Montréal, partie intégrante des défenses. Largement ruinée, cette dernière servait également de citerne, si l’on en juge par l’immense réservoir qu’elle abrite en ses fondements.

Des tombes datant de la période franque ont été localisées près de la rampe d’accès menant à l’entrée sud de l’église (rappelant en cela la nécropole des Croisés à proximité de l’église du Saint-Sépulcre du Mont-Pèlerin à Tripoli).

Ce front nord de l’enceinte dominante était séparé de la basse cour par un fossé taillé dans le roc, bien visible en contrebas de l’église et de la tour nord ouest, malgré les éboulis. Il semble qu’une porte ait été jadis ménagée au centre de la courtine, reliée à la basse cour par un pont mobile.

L’entrée principale de la citadelle se trouvait à l’angle sud-ouest de l’enceinte. De façon extrêmement originale, elle était défendue par une tour-porte située de l’autre côté du ravin. A cet endroit, un affleurement rocheux a été percé en son centre, ménageant ainsi un passage dans l’épaisseur de la roche (un aménagement similaire se retrouve dans la forteresse ismaélienne d’el-Khaf en Syrie, ou encore à Bile, dans le comté d’Edesse). Des structures sont aisément décelables sur les côtés et au dessus dudit affleurement, rendant vraisemblable l’hypothèse d’un coffrage de l’ensemble. Cette entrée faisait office de barbacane, laissant place à une rampe d’accès en S menant au noyau castral.

On note sur l’ensemble du site un système de recueil et de distribution de l’eau, pouvant être attribué aux Nabatéens.